Ryoichi Kurokawa, génération A/V

Texte : Jean-Yves Leloup

Auteur de puissants lives audiovisuels et d’installations spectaculaires, l’artiste japonais s’annonce comme la nouvelle star d’un art numérique, humaniste et techno.

Rheo, ARS Electronica, Tabakfabrik, Linz, 2010 Credit: rubra / Ars electronica

À découvrir avec Ground, installation audiovisuelle, jusqu’au 14 août à Lille dans le cadre de l’exposition Paranoïa ; et Octfalls, installation audiovisuelle, présentée jusqu’au 27 novembre 2011 à l’Arsenal Novissimo, à l’occasion de la 54e Biennale de Venise.

Avril 2011. Festival Nemo. Nous sommes religieusement assis face à l’autel de l’église Saint-Denys de l’Estrée, près de Paris. En lieu et place du prêtre, trois écrans gigantesques, auréolés d’un puissant sound-system, diffusent Rheo, un concert audiovisuel aux images et aux sons foudroyant, imaginé par Ryoichi Kurokawa. L’artiste est placé à quelques mètres de hauteur et occupe la place traditionnellement dévolue à l’organiste. Armé de trois laptops, le Japonais (né à Osaka, mais désormais Berlinois) contrôle les images comme la bande-son de ce spectacle mêlant paysages, éléments naturels et abstractions graphiques. Orfèvre du numérique, Kurokawa fait scintiller l’image, créé d’étonnantes formes géométriques, fabrique des matières de lumière et de pixels, qui parfois se décomposent avant de nous plonger dans de singuliers paysages arctiques ou désertiques. Côté sonore, Kurokawa joue avec la même dextérité entre sons naturels et numériques, compose une électronica aux textures terriennes et aux échos aériens, hésitant constamment entre nature et artifice. Cette sorte d’opéra audiovisuel, à l’esthétique panthéiste, dédié aux lois et aux forces de la nature, prend même un relief particulier, quelques jours après le tremblement de terre, le Tsunami et l’accident de la centrale de Fukushima. Le spectacle, spiritualiste et cependant terriblement techno, se termine d’ailleurs sur ces quelques mots : pray for Japan.

Au-delà du VJ
Dans cette église de Saint-Denis, le public semble subjugué, tout comme des milliers d’autres qui ont déjà découvert depuis le milieu des années 2000 les installations et les lives audiovisuels de cet artiste trentenaire, présentés à l’occasion de festivals comme Cimatics à Bruxelles, Mutek à Montréal, Transmediale à Berlin ou le Sonar de Barcelone. Kurokawa est en effet l’un des représentants les plus inspirés de cette nouvelle génération d’artistes pratiquant le live A/V (pour audio/visuel) et que l’on retrouve de plus en plus dans ces manifestations qui marient musique électronique et art numérique. Kurokawa s’inscrit dans la lignée d’un Ryoji Ikeda, ou de son confrère allemand Carsten Nicolaï, à la fois musiciens, artistes contemporains et créateurs visuels, qui furent les premiers, il y a une dizaine d’année, à avoir exploré sous l’aide de performances, cette nouvelle esthétique du numérique qui puise son inspiration dans les arts plastiques comme les expériences de la techno, de l’électronica et de la musique concrète.
Cependant, Kurokawa n’a que peu de choses à voir avec de trop nombreux VJ (vidéo jockey), dont les shows colorés ou les spectacles complaisants encombrent encore trop souvent les festivals. Comparé à de nombreux lives uniquement basés sur les performances techniques, le tape à l’œil et les effets sonores (imaginez la Foire du Trône, ajoutez-y un feu d’artifice et vous y êtes), le Japonais apporte à cette scène trop souvent obnubilée par la puissance de ses logiciels, de l’humanisme, un sens du pictural et du mouvement, bref une innovation plastique tout à fait inédite. On vous aura prévenu, les années 2010 s’annoncent sous le signe de l’A/V. (Jean-Yves Leloup)

http://www.ryoichikurokawa.com/

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