Une courte histoire des labels pionniers de la techno de Detroit

Texte : Jean-Yves Leloup. Photo : P-E Rastoin.

Metroplex, Transmat, KMS, +8, Planet E & UR : six labels qui ont fait l’histoire de la techno des années 1990.

Disquaire Submerge à Detroit. Photo : (c) Rastoin

Il peut sembler difficile d’écrire en quelques lignes, la glorieuse histoire des labels de Detroit, tant ils furent nombreux et leur vie fut parfois éphémère. Pourtant, tout amateur du genre se doit de posséder au moins quelques maxis ou CD de six des plus illustres fleurons de la motor-city : Metroplex, Transmat, KMS, Planet E, UR et +8. Ces petites structures ont permis à leur fondateur de se faire un nom et de prendre leur destin en main face au désintérêt des majors de l’époque. C’est cette éthique du « do it yourself » qui inspirera par la suite d’autres jeunes compagnies qui poursuivront ainsi leur voie en toute indépendance.

Si chacun d’eux possède bien sûr sa propre couleur en matière de son, tous semblent avoir connu un destin similaire. Une naissance marquée par une production riche et créative, avant de connaître un certain essoufflement au milieu des années 90. Pourtant, tous sont encore actifs, même s’ils n’affichent pas la même santé que leurs confrères européens. Devant la surproduction et l’état du marché, les grands noms de Detroit ont adopté une position de repli, n’éditant plus que de rares disques, mais toujours avec une belle exigence.

Et s’il faut trouver un pionnier à ces pionniers, le mérite en revient au tranquille Juan Atkins. En1985, il crée Metroplex, qui va inspirer toute la génération suivante. Après son premier maxi aux titres prophétiques (« No UFO’s » et « Future »), Atkins va essentiellement y presser ses productions solos, dont les désormais mythiques « Night Drive » ou « The Chase », préférant réserver ses albums pour des labels aux reins plus solides. La courte discographie de Metroplex, qui ne compte qu’une trentaine de références, permettra bien sûr à quelques autres artistes de venir se frotter au maître. Défileront ainsi Eddie Fowlkes, Thomas Fehlmann et Moritz Von Oswald (pour le fameux « Jazz is the teacher »), Keith Tucker, Robert Hood ou Anthony Shakir. Tous perpétueront ainsi le style Metroplex, entre influences électro originelles, techno minimale et spiritualité hi-tech.

Un an plus tard, c’est au tour de Derrick May, pote de lycée de Juan Atkins, de lancer son propre label, Transmat. D’ailleurs, sa première référence, « Let’s Go », est signé du trio X-Ray, dans lequel on compte May, Atkins et Fowlkes.  Suivront de nombreux maxis mythiques du plus romantique des musiciens techno, parmi lesquels « Nude Photo », « Icon » ou le plus enjoué « Strings of Life ». May offre par ailleurs sa chance à quelques autres musiciens de la ville comme Stacey Pullen, Carl Craig ou Darryl Wynn. Si entre 1995 et 2000, les sorties du label se font plus espacées, Transmat ne baissera jamais les bras. Il renaît même au début du siècle, affichant une politique d’albums plus ambitieuse. Les disques d’Aril Brikha ou de Tony Drake s’inscrivent alors dans la droite lignée de leur aînés, grâce à un son mélodieux et atmosphérique, d’une belle pureté.

Le même année, en 1986, c’est le troisième et dernier pionnier officiel, Kevin Saunderson, qui lance KMS. Contrairement à ses acolytes, Saunderson connaîtra deux tubes internationaux avec l’obsédant « Rock to the beat », et le chaleureux « Good Life » d’Inner City ». Rien d’étonnant à cela, le son de KMS se veut plus volontiers dancefloor. Que cela soit dans une veine techno martelée ou dans des variations plus house, les artistes KMS comme Chez Damier, Ron Trent, Blake Baxter, Marc Kinchen ou Kenny Larkin apportent au label une énergie et un sens du groove, qui peut parfois manquer à ses concurrents.

Quatre ans plus tard, c’est une nouvelle génération qui prend les rênes de la capitale, avec deux jeunes blancs-becs de Windsor (banlieue canadienne de Detroit), Richie Hawtin et John Acquaviva, qui fondent en 1990, +8. Loin des références funk des uns ou des mélodies abyssales des autres, ils privilégient une techno puissante, minimale et percutante, qui connaît son heure de gloire dans les raves européennes grâce aux productions de Fuse (Hawtin), Speedy J, Sysex ou Cybersonik (Dan Bell). Hawtin mettra le label en sommeil vers 1998 (pour le relancer en 2008), avant de fonder le plus expérimental M_Nus, de se consacrer à sa carrière solo et de migrer vers la nouvelle capitale techno, Berlin.

1990 marque aussi la création d’Underground Resistance, label fondé par le célèbre Mad Mike. Si certaines des premières productions du label ou de ses subdivisions évoquent parfois la house énergique de KMS, UR va rapidement se distinguer par un son techno  dévastateur dont témoignent en 1991 les très énergiques et rageurs « Riot EP » (1991), « Punisher » (1991) ou « Message To The Majors » (1992), tous signés du collectif à géométrie variable, Underground Resistance. A l’époque, UR et +8 se livrent d’ailleurs une concurrence à la fois amicale mais féroce pour imposer ce nouveau son techno dans les raves européennes. Toutefois, le son UR ne se limite pas à cette pure débauche d’énergie. Il s’affine et surfe entre les sonorités acid (« Acid Rain », 1993), une techno à la fois groovy et dynamique (le chef d’œuvre « The Final Frontier », 1991) ou des titres plus célestes et grandiloquents (« Nation 2 Nation », 1991, « World 2 World », 1992), avant de s’orienter au milieu des années 1990 vers un son orienté vers l’électro.

Jeune dauphin de la trinité techno, Carl Craig poursuit enfin le travail de ses aînés en 1991 et créé Planet E. Il signe bien sûr lui-même la première sortie du label, « 4 Jazz-Funk Classics », inoubliable et rageuse série de variations électro. S’ensuivent une belle série de maxis solos (signés 69, BFC ou Psyche), où Craig fait preuve de tout son talent en matière de groove et d’atmosphères célestes. Les sorties suivantes explorent plutôt une techno au goût de funk, de soul et de jazz futuriste, à l’image des productions de Russ Gabriel, Moodyman, Recloose ou bien sûr de l’Innerzone Orchestra de Craig.

Ainsi, c’est grâce à ces six labels que Detroit a pu, au cours des années 1990, occuper une place aussi déterminante sur la planète techno. Aujourd’hui, malgré l’activisme d’UR, il faut bien avouer que les musiques les plus en pointes ne se pratiquent plus vraiment du côté du Michigan. Mais avouons que sans eux, la techno ne serait peut-être resté qu’un pur artifice, qu’un alliage sans âme de samples et de sons d’usine.

A découvrir sur format CD  :

KMS :

Kevin Saunderson « Elevator »

Inner City « The Best of the Goodlife »

Transmat :

Compilations « Time : Space » et  « Time : Space 2 »

Derrick May « Innovator »

Metroplex :

Compilation « Timeless »

Model 500 « Classics » (chez R&S)

Planet E

Compilation « Geology: A Subjective Study of Planet E », Vol.1 et 2″

Moodyman « Silent Introduction »

Paperclip People « The Secret Tapes Of Doctors Eich »

Compilation « Elements 1989-1990 »


+8

Compilation « +8 Classics », NovaMute

UR

Compilation « Galaxy 2 Galaxy », compilation UR

Compilation « Interstellar Fugitives », compilation UR

8 Réponses to “Une courte histoire des labels pionniers de la techno de Detroit”


  1. 1 Axel 22 janvier, 2011 à 7:45

    Il faudrait ajouter Axis et M-Plant tout de même.

  2. 2 intruder 23 janvier, 2011 à 4:13

    Cette phrase « Aujourd’hui, malgré l’activisme d’UR, il faut bien avouer que les musiques les plus en pointes ne se pratiquent plus vraiment du côté du Michigan. » est un peu limite quand même. On oublie le récent Model 500 (track sur R&S et live), Kyle Hall, Moodyman, Dj Bone et son label Subject Detroit, Seth Troxler, tous les récents Planet E avec Carl Craig … en acceptant que Jeff Mills et Robert Hood n’habitent plus à Détroit. Enfin.

    • 3 Jean-Yves Leloup 24 janvier, 2011 à 11:01

      Vous avez en partie raison. On aurait pu aussi citer Matthew Dear et le label Ghostly International d’Ann Harbor (banlieue de Detroit), ou DJ Kero et son label Detroit Underground. Mais le fait est qu’un certain âge d’or est passé, que la musique électronique s’invente aussi ailleurs, et que la ville ne possède plus tout à fait la même dynamique créative et collective qu’au cours de la première moitié des années 1990, et ce malgré me talent de personnalités comme Carl Craig et Moodyman.

      • 4 intruder 24 janvier, 2011 à 11:05

        Pas de souci c’est juste pour dire que la techno de détroit n’est pas morte mais je suis d’accord que l’age d’or est passé. J’avais aussi oublié DJ 3000 et son label Motech ainsi que le collectif Detroit Techno Militia et Theo Parrish.

  3. 5 Jean-Yves Leloup 24 janvier, 2011 à 10:54

    Pour Axis et M-Plant, on aurait effectivement pu les citer, mais ce sont des labels avant tout dédié aux productions solo de Jeff Mills et Robert Hood. La démarche de ces labels me semblait donc moins intéressante. Mais leur travail s’inscrit bien sûr parfaitement dans cette histoire.

  4. 6 detroit house 90 25 février, 2011 à 6:58

    chez damier-help myself

  5. 7 Anonyme 28 juillet, 2011 à 10:17

    et Teknotika?

  6. 8 Jean-Yves Leloup 19 août, 2011 à 4:13

    Teknotika a sorti quelques belles choses, tout à fait originales sur la scène de Detroit, et ce fût le seul label « blanc » à faire partie de Submerge et à être accepté par Mad Mike. Mais je ne l’aurais pas classé parmi les labels pionniers. La qualité de ses sorties me semble moins importante aussi. Après, ça peut se discuter et ça fait longtemps que je ne me suis pas replongé dans son catalogue.


Laisser un commentaire