La culture britannique et pop a–t-elle encore une influence ?

i-D cover, 1987

i-D cover, 1987

Depuis les années 60 et la Beatlemania, Londres, Liverpool et Manchester n’ont cessé de faire la loi. Mais, avec l’arrivée du mouvement techno, le pays a perdu de son influence, balayée par une nouvelle culture numérique et globale.

Auteur : Jean-Yves Leloup
Un sujet, un entrefilet ou parfois même une simple faute de frappe, publiée dans un magazine anglais influent (The Face, I-D, Dazed & Confused, NME…), peut entraîner dans son sillage une floppée d’articles dans la presse française, qui trouvera là une énième occasion de faire croire à ses lecteurs à l’existence d’une nouvelle tendance prête à débouler dans notre pays. Il en est ainsi depuis quelques décennies, la presse britannique, et bien sûr l’ensemble de la culture locale exerçant sur la pop globale une influence considérable, si ce n’est une domination rarement partagée.
Dernière incarnation en date de cette puissance de feu en matière de style et de tendance, le concept un rien foireux et fourre-tout de « nu-rave », lancé avec cynisme par le New Musical Express pour décrire la techno joyeuse et parfois old-school des Klaxons. Les intéressés auront eu beau clamer que le concept ne faisait pas sens, toute la presse, hors des frontières du Royaume-Uni, a repris ainsi sans broncher cette idée fumeuse, qui masquait. Il est vrai qu’outre-Manche, les magazines, dopés par la puissance économique du secteur de la musique, ne savent plus vraiment quoi inventer pour attirer le lecteur et les revenus publicitaires, et passent leur temps à annoncer le retour de tel ou tel mouvement ou à décrire les possibles revivals qui nous guettent.
C’est vrai, on est un peu méchant avec nos confrères anglais. Car il faut bien avouer qu’il y a quelques années, la lecture du défunt Muzik, de Wire ou de la version noir et blanc de I-D, nous ont fait découvrir un univers bouillonnant de sons et d’inventions, qui n’avaient jamais eu les honneurs de Télérama, des Inrocks ou de Rock & Folk.

Force économique
Si l’Angleterre possède une telle influence, c’est que la culture pop est chez eux quelque chose de sérieux. Non pas comme en France, une sorte d’artisanat respecté et élitiste, mais un business dont dépendent des millions de petits patrons, de cadres et d’employés.
Cette forme de colonisation culturelle où l’art et l’économie font bon ménage, Benoît Sabatier la décrit très bien dans son récent bouquin, « Nous sommes jeunes, nous sommes fiers : la culture jeune d’Elvis à Myspace » où notre confrère de Technikart explique comment « la culture jeune, d’année en année, va devenir un gigantesque marché et conquérir les esprits ». Il rappelle notamment comment la culture pop est devenue outre-Manche une véritable affaire nationale, et ce dès 1963 et la vague de la Beatlemania. A cette époque, « c’est le conservateur Alec Douglas-Home qui dirige le pays. Ce gaillard ne crache pas sur l’économie de marché. Et il faut bien avouer que l’avènement des Beatles apporte à l’Angleterre richesse et prestige. Richesse : comment employer tous ces nouveaux jeunes ? Trop nombreux, les baby-boomers auraient pu faire exploser le taux de chômage. Mais le pop apporte du travail, développe l’économie britannique. Cette nouvelle industrie liée au pop, concerne le monde des spectacles – les éclairagistes, les maisons de disques, les sonorisateurs, les roadies, les éditeurs, les magasins de vinyles, les programmateurs radio-, mais aussi nous sommes dans une économie de marché, les chaînes parallèles : avec la Beatlemania, en route pour le merchandising. La Beatlemania profite aux marchands de chaussures, d’encens, de pantalons, aux kiosquiers, aux pubs, aux coiffeurs, aux entreprises de shampooings, aux vendeurs de foulards, de guitares, de sitars, de perruques. Les Beatles enregistrent de belles chansons. Ils créent aussi un nouveau monde, jeune et impertinent. Mais encore : ils font tourner l’économie, ils apportent des devises, par milliards ».
Plus de quarante ans après, la Grande-Bretagne reste un formidable vivier de tendances et d’artistes. Mais cette caisse de résonance que constitue l’ensemble de sa culture pop, sonne de plus en plus creuse. Il faudra s’y faire, le pays a perdu de sa légitimité. Il ne parvient plus à imposer ses inventions et ses courants comme il le faisait depuis de très longues années. Le modèle pop, hégémonique et anglo-saxon, a en effet souffert, pour notre plus grand bien, de la mondialisation. La musique a changé, la culture s’est globalisée. Depuis le milieu des années 90 et le triomphe de la bien-nommée Brit-pop (Oasis, Blur, Pulp…), mais aussi parallèlement de la brit-dance (avec son cortège de DJs superstars, « l’invention » et l’exportation de styles comme le trip-hop et la jungle), les anglais ne créent plus grand chose, ou en tout cas, ne parviennent plus vraiment à sortir leurs innovations (UK Garage, dub-step, Nu-School Breaks…), des frontières de leur pays. En quelque sorte, la mondialisation des échanges et la démocratisation de l’Internet a permis à quantité d’autres nations de s’inventer une nouvelle culture populaire, sans doute plus démocratique que la Beatlemania des 60’s. Aujourd’hui, John Lennon ne pourrait plus affirmer quelque chose comme « le rock français, c’est comme le vin anglais, ça n’existe pas » (cité par Sabatier dans son livre).

Culture rave
Ce réveil, notamment du continent européen, a pris son essor dès le tout début des années 90 et l’émergence de la culture rave. Alors bien sûr, dans ce domaine, l’Angleterre a joué un rôle de catalyseur. De la même manière que les Beatles, les Stones ou les Kinks avaient popularisé le rock, la soul et le blues américain, les Britanniques ont offert à la house de Chicago et à la techno de Detroit une audience internationale. S’inspirant de cette culture noire-américaine, nos amis anglais ont en quelque sorte transformé une musique en phénomène culturel et festif. Pourtant, en France, on n’a jamais tout à fait adopté le style britannique. Dans les premières raves organisées chez nous, on n’a jamais vraiment dansé sur le son de Madchester, des Happy Mondays ou de Primal Scream. Les smileys comme les sifflets n’ont jamais fait office de signe de ralliement. Les Djs et les stars des platines britanniques, mis à part quelques exceptions notables et underground, n’ont jamais attiré les foules. L’Hacienda a toujours plus représenté un rève de journaliste ou de fan de New Order, qu’un véritable mythe pour les danseurs de l’époque. Car avec la techno 90’s, on vibre alors au son de ce que l’on nomme la « techno belge » (hé oui, ça a existé) qui règne même en maître et l’on évoque, les pupilles dilatées et l’esprit envieux, le son et l’ambiance du Boccacio, des boites d’Anvers ou de Gand, ou plus au Nord, la réputation festive des clubs d’Amsterdam ou, bien sûr, la musique et l’hédonisme allemands, tels qu’on le pratique à Berlin, Francfort ou Cologne.
A cette époque, on se rend compte qu’il existe une alternative à ce qu’on lit dans la presse (Actuel, Libération et les Inrocks) qui, par atavisme chronique, ne semblent vibrer que pour les modes anglaises.
Petit pan de l’histoire méconnue, il existe même en France au début de l’époque des raves, une certaine forme de rivalité entre deux clans. D’un côté, on retrouve, particulièrement marqué par la culture britannique, tout un réseau d’organisateurs et de promoteurs (les soirées Soma et Armistice, le collectif de Beat Attitude, quelques expats anglais), de fanzines et de médias (Eden, les pages « disco » de Libé signées Didier Lestrade, le 36 15 Rave du même quotidien). Et de l’autre, des personnalités (Patrick Rognant), des organisateurs (USA Import, Tekno Tanz, Happy Land), de petits médias (Radio FG, Coda), qui constituent quant à eux un réseau plus massif et populaire, mais tout aussi hédoniste que ses concurrents, et qui découvre avec émerveillement les producteurs belges, la rigoriste techno allemande, les prémices du hardcore et de la trance. Les uns critiquent le son fédérateur des raves de l’époque, les autres trouvent la house, le garage et la post-disco, importés par les anglo-saxons, beaucoup trop timoré pour le nouveau siécle qui se profile. Les chroniques de Lestrade dans Libé, les prises de position du fanzine Eden, agacent les ravers au plus haut point. Le son de Radio FG, avec sa techno souvent tonitruante (Jeff Mills et Liza N’Eliaz sont des habitués de l’antenne) casse les oreilles de ceux qui sortent à peine des Stone Roses et de l’italo-disco.
Avec le recul, tout cela est amusant, mais montre bien comment une nouvelle culture a pris racine à cette époque dans l’underground français (91-96), quelque temps avant l’émergence de la french touch. C’est comme si la naissance de ce que l’on nommait alors un peu pompeusement, la techno ou la house nation, avait inauguré une ère du soupçon vis-à-vis des tendances venues d’outre-Manche. Car il faut se rendre à l’évidence, mis à part les succès des Chemical Brothers, Fatboy Slim ou The Prodigy, qui tous pratiquent une forme de techno-rock, l’électronique anglaise n’a pas vraiment perçé dans l’Hexagone. Orbital ou Underworld n’ont jamais récolté qu’un succès d’estime, très loin des chiffres de Noir Désir, NTM ou David Guetta.
Finalement, l’une des tendances les plus populaires en provenance d’Angleterre, est celle qui a vendu le moins de disques chez nous. Il s’agit du mouvement des free-parties, introduit clandestinement par une poignée de nomades, et qui ont réussi à entraîner dans la même dynamique, toute une génération rebelle et tekno.

A lire : Benoît Sabatier « Nous sommes jeunes, nous sommes fiers, la culture jeune d’Elvis à Myspace » (Hachette Littératures)

1 Réponse to “La culture britannique et pop a–t-elle encore une influence ?”


  1. 1 Groove N' Vibes 11 août, 2008 à 3:58

    Oui, c’est sûr que l’Angleterre a légèrement perdu son influence. Mais, elle reste tout de même l’incubateur de certains des tout derniers mouvements musicaux issus des cultures électroniques ( dubstep, grime, par exemple. ) On ne peut pas vraiment dire autant de la France !! Mais, elle n’est plus la seule ( voir le Baile Funk ou le Nueava Cumbia !! ).
    Sinon, un très bon article à savourer les pieds dans l’eau ( ou autre ) !


Laisser un commentaire