Archive for the 'Histoire de la musique' Category

VOYAGE À CHICAGO, EN MÉMOIRE DE FRANKIE KNUCLES

Texte : Jean-Philippe Renoult

Photo : Frankie Knuckles par Pierre-Emmanuel Rastoin

Frankie Knuckles © Pierre-Emmanuel Rastoin

Nous venons d’apprendre le décès du DJ et producteur Frankie Knuckles, l’un des pères de la house music de Chicago, à l’âge de 59 ans. En mémoire de ce musicien pionnier, voici un extrait du chapitre, « Chicago, DJ City », un récit signé Jean-Philippe Renoult (rédigé en 1998 lors d’un voyage dans la ville de l’Illinois), issu de notre livre « Global Techno : voyage initiatique au cœur de la musique électronique » (désormais épuisé). Cet extrait se consacre justement à quelques-unes de figures historiques de la scène de Chicago.

« La house ! Mais quelle house ? Il n’y a plus de house à Chicago. Ici, il n’y a plus l’énergie. Les DJ ne sont là que pour resservir la même soupe à un public qui n’en a plus rien à foutre. La house, on nous l’a prise. Et on n’a rien fait de mieux que de répéter la même chose. Il n’y a pas un seul truc bien qui soit sorti de cette ville depuis deux ans. Tu sais ce qui marche le plus à Chicago en ce moment ? C’est la house française. Tout le monde ici est dingue de Stardust et de Bob Sinclar. La meilleure house de Chicago, c’est à Paris qu’on la fait… Chicago is dead ! »

Nous sommes à Chi-Town depuis moins de deux heures. À la boutique Gramophone, Steven, un DJ amateur, vient de nous lâcher cette réflexion, directe et cruelle. Ce constat, si désabusé soit-il, nous rappelle que la plus formidable révolution musicale et culturelle de la fin du siècle est née là… Une naissance dans l’indifférence générale d’abord, sous les feux de tous les projecteurs ensuite. Sans les quelques tâtonnements expérimentaux des DJ pionniers, pas de House Nation, pas de rave culture, pas d’acid-house, pas de Balearic beat, pas de French hype, pas de livre Global Techno…. Aujourd’hui, la house de Chicago supporte un très lourd héritage. Faut-il croire Steven ? Windy City a t-elle rendu son dernier souffle ?

Alors que l’on arpente les quais de la ville la plus high-tech de l’Amérique du Nord, les flash-backs et les souvenirs s’imposent à nous comme autant de vérités sur la global house culture.

 

À l’origine de chaque scène dance, il y a souvent un DJ et un seul, dont l’aura déteint sur quelques joyeux disciples. Chicago est un cas de figure moins saisissable, car aucun DJ ne peut à lui seul revendiquer la paternité de la house. L’énergie commune, développée en leur temps par une poignée de DJ solidaires, trouve cependant sa filiation avec un personnage essentiel et méconnu, Ron Hardy.

Hardy est à Chicago ce que fut Larry Levan à New York. Mais là où Levan s’exprime au cœur de l’explosion disco, le Chicagoan se distingue dans un style plus proche du Philly Sound, le genre précurseur du disco apparu au début des années soixante-dix à Philadelphie. À partir d’une musique finalement déjà un peu datée, Ron invente un style totalement inédit : il rajoute dessus des boîtes à rythmes. On est alors au balbutiement des machines électroniques et les beatboxes ne sont que des instruments primaires comme on en rencontrait dans les programmes d’accompagnement des orgues Bontempi de notre enfance. Hardy joue de ces boîtes à pleine puissance, il en exagère les sonorités métalliques et transforme n’importe quel gimmick disco-soul en danse tribale hypnotique.

 

GODFATHER MALGRÉ LUI

FRANKIE KNUCKLES

Dans la foulée, Frankie Knuckles reprendra le même procédé, ajoutant des basses et des synthés en plus du rythme. Ce DJ, venu de New York s’est déjà forgé une belle réputation dans sa ville natale. Il débute avec Larry Levan au Continental Bath, et il retournera plus tard à New York sous les feux d’une gloire éternelle. Mais entre temps Frankie trouve à Chicago le club qu’il lui faut : le Warehouse. Au début des années 1980, c’est là que tout se passe. Frankie est le catalyseur d’une scène extrêmement active. C’est le lieu de rendez-vous de DJ et de producteurs qui sont en passe de révolutionner la dance music, pendant que Farley Jackmaster Funk exulte haut et fort le cri primal de ce nouveau son sur la radio WBMX. Comme le club s’appelle le Warehouse, leur musique qui n’a pas encore de nom s’appellera… la house.

Frankie Knuckles devient donc « Godfather of house music », un peu malgré lui. Mais s’il n’en a pas la stricte paternité, il est le premier à l’exporter hors de Chicago et de son Warehouse. Très tôt, les prouesses techniques de Knuckles et ses qualités d’ingénieur du son, l’amènent derrière les consoles de mixage pour le compte de divers artistes. Parmi les plus beaux remixes de Knuckles on notera ceux qu’il réalise pour Kevin Saunderson et Inner City. Detroit, la voisine industrielle du Michigan, n’est qu’à quatre cent kilomètres de la capitale de l’Illinois. L’impact de la house est directement ressenti à Motorcity, et l’essor de la house et de la techno sont intimement liés. Lire la suite ‘VOYAGE À CHICAGO, EN MÉMOIRE DE FRANKIE KNUCLES’

Robert Hood : aux origines de la techno minimale

Robert Hood étant toujours aussi présent sur la scène internationale, et notamment française (en partie à travers le livre de Mathieu Guillien, consacré à « La techno minimale »), voici une version longue d’un portrait publié au printemps 2008 dans Tsugi, consacré au père du minimalisme techno.
Auteur : Jean-Yves Leloup
Image: Pierre-Emmanuel Rastoin

A l’heure où la tendance minimaliste triomphe en Europe, et voit sa domination séveremment critiquée, l’un des pères fondateurs du genre, Robert Hood, revient sur le devant de la scène avec un tube underground « And Then We Planned Our Escape », ainsi qu’un nouveau mix réalisé pour Fabric.

Certains types de Detroit, les pionniers de la première génération comme leurs plus fidèles héritiers, possèdent parfois une belle voix. Celle de Juan Atkins, veloutée et caverneuse, vient du plus profond de sa gorge. Celle de Mad Mike, plus nasale mais menée sur un joli tempo, joue sur les silences et les respirations. Celle de Carl Craig, plus médium, roule parfaitement au creux du palais. Quant à celle de Robert Hood, c’est une voix lente, plutôt traînante, à la fois grave et douce, presque dub, et dont de très belles basses lui confèrent un caractère hautement hypnotique.
Ce bel organe, que l’on perçoit, lors de notre entretien au téléphone, de façon plutôt lointaine et filtrée, n’est d’ailleurs pas sans évoquer la musique de ce black américain : une techno réduite à l’essentiel, tour-à-tour galopante et obsessionnelle, propulsée par des basses terriennes sur lesquelles viennent danser quelques rares jeux de percussions.
Ce type plutôt discret, né en 65 à Detroit, un peu moins connu que ses frères d’armes, n’en incarne pas moins une étape capitale dans l’épopée du genre électronique. Ayant grandi dans une famille de musiciens, nourri au jazz, au rhythm & blues, au Philly sound et au son de la Motown, il pratique la trompette avant de plonger dans la techno vers la fin des années 80, pratiquant le Djing et apprenant les bases du métier auprès des deux fondateurs d’Underground Resistance, Mad Mike et Jeff Mills. S’il participe, aux côtés de Mills, aux premières expériences du label Axis, c’est sur sa propre structure, M-Plant, qu’il se distingue vers 94 sur la scène internationale, grâce à ce son minimaliste dont il est somme toute l’un des pères fondateurs. Lire la suite ‘Robert Hood : aux origines de la techno minimale’

Conférence : De Chicago à Berlin, une histoire de la musique électronique au cours des années 1990 et 2000

Retrouvez Jean-Yves Leloup pour une nouvelle conférence le samedi 8 février 2014 au TAP de Poitiers, dans le cadre du WEE (Week-End Electro).

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ÉLECTRO, TECHNO, HOUSE…
De Chicago à Berlin, une histoire de la musique électronique au cours des années 1990 et 2000.

Dans cette conférence illustrée en son et en images, Jean-Yves Leloup évoquera l’histoire de la musique électronique au cours de ces vingt-dernières années, depuis l’émergence de la house de Chicago et de la techno de Detroit jusqu’à la nouvelle vague électro des années 2010. Il abordera par ailleurs l’histoire, l’émergence et l’évolution des clubs, des raves et des événements qui ont façonné au cours des dernières décennies, cette culture désormais globale.

Infos pratiques

La chanson française se remet en piste

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Une nouvelle génération de DJ revisite avec finesse la variété des années 60 à 80, apportant une touche de modernité inédite à des titres qui passent de l’oubli au dancefloor.

Par Jean-Yves Leloup

Écoutez une sélection d’edits et de remixes et lisez notre enquête sur le site de Libération.

Conférence « Une courte histoire de la Techno » (podcast audio)

Écoutez en ligne un enregistrement de la conférence donnée par Jean-Yves Leloup le 14 janvier 2014 au Trempolino de Nantes :

1981-2014 : une courte histoire de la techno

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Apparue il y a déjà trente ans, la techno signe son grand retour sur la scène musicale avec le succès de jeunes artistes comme Gesaffelstein, Ben Klock, Marcel Dettmann ou Sandwell District et le succès, toujours aussi éclatant, de DJ et de musiciens plus anciens comme Laurent Garnier, Richie Hawtin ou Adam Beyer. Plus sobre, minimaliste et plus noire que sa cousine éloignée, l’electro-dancefloor, la techno 2014 revient aux sources… celles de Détroit et de Berlin.

Dans cette conférence illustrée en musique et en vidéo, l’auteur et journaliste Jean-Yves Leloup évoquera l’histoire de ce genre musical depuis son apparition au cours des années 1980 à Detroit, sa popularisation au sein de la génération rave des années 1990, et sa renaissance au sein de la scène berlinoise des années 2000.

Playlist de la conférence, podcast, photos et infos

Podcast audio sur Soundcloud

Ciné-concerts et cinémixes : quand le film devient partition musicale

Dans les salles de cinéma comme les festivals de musique, le cinémix et le ciné-concert constituent deux phénomènes particulièrement populaires en France. Ils restent toutefois peu documentés et sous-estimés par la critique. Jean-Yves Leloup, pionnier du genre au sein du duo RadioMentale, revient sur l’histoire et l’esthétique de cette pratique qui consiste à accompagner, illustrer, détourner ou remixer, en son et en musique, les films muets comme les films parlants.

Radiomentale à Mannheim (Allemagne) pendant la projection de leur cinémix réalisé sur le film "Le Mecano de la General" de Buster Keaton. Copyright info : Moritz Vogt

Radiomentale à Mannheim (Allemagne) pendant la projection de leur cinémix réalisé sur le film « Le Mecano de la General » de Buster Keaton.
Copyright info : Moritz Vogt <http://fb.com/marvelousmophotography&gt;

Le cinéma peut-il encore incarner la modernité ? Face aux flux numérisés d’images et d’informations ou aux lives audiovisuels scintillant de diodes et d’effets, il faut avouer que le cinéma peut paraître bien désuet.

Pourtant, depuis le début des années 2000, le spectacle cinématographique n’a cessé d’être questionné par les artistes. Copié, pillé, plagié, remixé, revu ou corrigé, le cinéma a investi ces dernières années l’univers de l’art contemporain, s’est disséminé dans les méandres du web tout en trouvant une nouvelle vigueur sous la forme du ciné-concert et du cinémix.

Certes, il peut paraître paradoxal d’évoquer ces deux pratiques dans un magazine privilégiant l’art du numérique et des nouveaux médias (cet article est paru à l’origine dans la revue MCD, Musiques et Cultures Digitales), tant cette forme de spectacle remonte à la préhistoire du septième art. Les salles de cinéma ont en effet accueilli dès les débuts du muet, des musiciens qui, sous la forme de petits orchestres (plus rarement des pianistes), placés sous la direction d’un chef, interprétaient les partitions de compositeurs spécialisés ainsi que les classiques de l’époque. Rebaptisée « ciné-concert », près d’un siècle après son invention, cette pratique atteste aujourd’hui d’une volonté, de la part des exploitants de salles, de renouveler les formes les plus ancestrales du spectacle cinématographique. Mais elle témoigne plus encore de la volonté des musiciens et des DJ d’échapper aux formes traditionnelles du concert ou du clubbing, et de trouver de nouveaux débouchés économiques à l’heure de la crise du disque.

À partir de 1977, Un Drame Musical Instantané fût l’un des premiers groupes modernes à s’être emparé de la forme du ciné-concert, revisitant une grande partie des classiques du muet qui, aujourd’hui encore, constituent le répertoire des musiciens et des DJ actuels : Le cuirassé Potemkine (S.M. Eisenstein), La Chute de la maison Usher (Jean Epstein), Le cabinet du Dr Caligari (Robert Wiene), Nosferatu (F.W. Murnau),  L’Homme à la Caméra (Dziga Vertov), La Passion de Jeanne d’Arc (Carl T. Dreyer),  Häxan (Benjamin Christensen) ou encore les films de Louis Feuillade, Marcel L’herbier ou du Fonds Albert Kahn. Par la suite, au cours des années 1980 et 1990, les studios, les institutions et les cinémathèques commandent à des compositeurs d’inspiration néo-classique, cinématographique, pop ou plus avant-gardistes (de Carl Davis à Pierre Henry, en passant par Art Zoyd, Giorgio Moroder ou Mauro Coceano) de nouvelles créations destinées à accompagner des grands films du répertoire, à l’image de Napoléon (Abel Gance), Metropolis (Fritz Lang) ou L’homme à la caméra (sans doute l’un des films muets les plus sonorisés avec les classiques de Lang et de Murnau).

Last night a DJ saved my film

C’est au tournant des années 2000 qu’une nouvelle génération, venue de la scène électronique et downtempo, s’empare du muet. Les Électrons Libres figurent parmi les pionniers du cinémix en France, grâce aux commandes que leur passe la Cinémathèque de Toujouse. Dès 1998, ils apportent les textures et les timbres caractéristiques de l’électronica, à d’antiques films de science-fiction comme Aelita (Yakov Protazanov) ou le trop rare Point Ne Tueras (Maurice Elvey). The Cinematic Orchestra leur succède en 2000, signant une version jazzy et bien sage de L’homme à la caméra de Vertov, tout comme Jeff Mills qui s’attaque encore timidement au Metropolis de Lang, dans une version qu’il a lui-même remonté. À partir de 2004, d’autres artistes suivent le mouvement. Alpha, Swayzak, Murcof, Sporto Kantès, Troublemakers, NLF 3, Laurent Garnier, Château Flight ou RadioMentale, répondant aux multiples demandes de la part de cinémathèques ou d’institutions comme Le Forum des Images, investissent tous le cinéma muet, avec plus ou moins de bonheur. On observe par ailleurs un mouvement identique dans le domaine du jazz, de la musique classique et contemporaine, dont de nombreux pianistes, trio ou quatuors viennent eux aussi revisiter les films du répertoire, et accentuer le phénomène.

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Génération X : une courte histoire de la French Touch

Auteur : Jean-Yves Leloup
Texte publié à l’origine dans le catalogue de l’exposition « French Touch : Graphisme / vidéo / électro » présentée au Arts Décoratifs de Paris (Octobre 2012-Mars 2013)
 
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La génération X, qui désigne la génération sociologique des occidentaux nés au cours des années 1960 et 1970, a souvent souffert d’une image peu flatteuse. Cette génération, que l’on définit comme intercalée, pour ne pas dire coincée, entre celle des baby-boomers, heureux profiteurs des Trente Glorieuses, et celle plus moderne et connectée des digital natives, a souvent été associée aux figures et à l’esthétique du mouvement grunge. En quelque sorte, le rock aux guitares résonnantes et aux textures abrasives des Nirvana, Mudhoney et autres formations nord-américaines comme Soundgarden et L7, aurait été à l’image de certains jeunes occidentaux de la fin des années 1980 et des années 1990, à la fois insoumis et tire-au-flanc, sans repères et sans (grand) avenir, dont l’image et le destin se seraient incarnés, in fine, dans le geste désespéré et la figure martyre de Kurt Cobain.Lorsque le jeune rocker américain décède en 1994 à l’âge de vingt-sept ans, son suicide apparaît cependant pour beaucoup d’entre nous comme un geste absurde et pathétique, symbolisant l’agonie trop longtemps prolongée d’un rock exsangue, sans plus aucune emprise sur son époque. Car la génération X dont je fais partie, née tout comme Cobain à la fin des années 1960 (nous sommes nés à un an d’écart), possède bien peu de choses en commun avec le romantisme adolescent du mouvement grunge. La génération X dont je fais partie, c’est celle qui a vécu, pleine d’espoir, la fin de la guerre froide et les débuts utopiques de l’Internet et de ce qu’on nommait hier encore, la cyberculture. La génération X dont je fais partie, c’est celle de ravers, de clubbers, de DJ, de musiciens et d’amateurs de musique électronique pour qui le X n’est en rien le synonyme péjoratif d’une génération désenchantée ou en manque d’idéal, mais plutôt le sésame vers l’extase et l’euphorie (l’ecstasy, la drogue aux effets empathiques qui circulait dans les fêtes de l’époque était généralement désignée grâce à la lettre X).

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LA FABULEUSE ÉPOPÉE DE LA HOUSE

Disquaire Gramophone, Chicago, 1998 (c) P-E Rastoin.

Disquaire Gramophone, Chicago, 1998 (c) P-E Rastoin.

Retrouvez sur Dailymotion une table ronde organisée par le magazine Gonzaï, autour de l’histoire et  l’évolution de la house, de la scène rave et techno, des années 1990 à nos jours

Le 15 mai dernier, j’étais invité à participer à une table ronde, organisée sur le plateau média de La Gaîté Lyrique à Paris, aux côtés de deux pionniers français, Manu Casana, premier organisateur de raves en France, et Christophe Monnier, un des premiers compositeurs du genre. Une belle discussion que vous pouvez retrouver ici, en vidéo.

La Fabuleuse Epopée de la House (Party 2)

La première partie de ce plateau rassemblait quant à elle le journaliste et activiste Didier Lestrade, le musicien électronique Arnaud Rebotini et le rédacteur en chef adjoint de Technikart, Benoît Sabatier. Cette émission est aussi visible sur Dailymotion.

La fabuleuse épopée de la house (Party 1)

Simon Reynolds : 30 ans de critique musicale

Bring The Noise

Révélé en France avec Rip It Up & Start Again (Allia), consacré au postpunk et à la new wave, Simon Reynolds, l’un des meilleurs journalistes musicaux actuels, a publié en 2011, Retromania (Le Mot Et Le Reste, 2012), un brillant essai dans lequel il s’interrogeait sur la nature nostalgique de la pop music et les effets esthétiques de la révolution numérique. En ce printemps 2013, les éditions du Diable Vauvert publient quant à elle la traduction française de Bring The Noise : 25 ans de rock et de hip-hop, publié à l’origine en 2006. L’occasion était donc toute trouvée  d’évoquer ses livres et ses trente ans d’écriture sur le rock, l’électro ou le hip hop, dans cet entretien réalisé en mars 2012 (publié en version courte dans Tsugi Magazine). On y parle entre autres de new wave, de grime, de garage-rock, de rave parties, de dubstep, d’euro-dance, de jouissance, de Derrida, de Kristeva ou du thème de la nostalgie…

Une rencontre est organisée avec l’auteur le 27 mars 2013 à 19h au Thé des écrivains, 16 rue des Minimes dans le 3e à Paris. Facebook Event.

À lire sur le même sujet et du même auteur  : Comment Internet a transformé notre amour de la musique ?

Jean-Yves Leloup : Le slogan des amateurs anglais de Northern Soul, « Keep the faith » (garder la foi) » me semble assez représentatif de cet esprit rétro, de cette atmosphère de nostalgie d’une musique incarnant l’âge d’or d’un genre musical, qui flotte actuellement sur la scène musicale, et que vous évoquez dans Retromania. Vous concernant, après plus de trente ans d’écriture sur la pop, le rock, l’électro ou le hip hop, avez-vous gardé la foi ? Ou l’avez-vous déjà perdu et en quelles circonstances ?

Simon Reynolds : Par défaut, je suis un insatisfait. Au milieu des années 1980, après la période du postpunk, il y a eu un moment pendant lequel la scène musicale, stagnante, ne semblait aller nulle part. J’ai écris à l’époque des choses qui ressemblent beaucoup à ce que je décris dans Retromania. Finalement, je me suis souvent plaint de la musique et de l’état de la scène musicale. Cela alterne avec des périodes obsessionnelles, pendant lesquelles je suis totalement excité par un artiste, ou une tendance particulière.

Est-ce à dire que vous avez commencé à écrire, au milieu des années 1980, par réaction à la musique dominante de l’époque ?

Oui, j’ai d’abord commencé dans le fanzinat et, à l’époque (vers 1984, NDR), nous avions une attitude très négative, très critique, vis-à-vis de la déroute du postpunk, qui selon nous n’allait plus nulle part, regardait trop dans le rétroviseur. J’ai toujours été une sorte de grincheux, mais mon comportement obéit sûrement plus à une forme de névrose maniaco-dépressive. Totalement maniaque pendant des périodes données, comme le postpunk (1978-84, NDR) ; la fin des années 80, avec le hip hop de l’époque et des groupes comme My Bloody Valentine ; et enfin la période rave.

De manière générale, je suis avide de nouveautés, je vais très vite de l’avant. Mais à l’évidence, nous traversons aujourd’hui la période la plus régressive depuis longtemps. On ne sent pas de vraies directions. La musique se répète, recycle inlassablement. J’espère que cela va changer (rires), mais je crois que ma dernière grande mania, et la dernière grande période d’évolution et d’invention, fût le Grime anglais vers 2002-2004, ainsi que certaines des productions hip hop américaines qui paraissait alors futuristes, pleine d’énergie et d’agression. Le Grime a représenté pour moi une sorte de « black british punk ». C’est une musique très énergique, tout en étant sociale. Cette musique aurait davantage fait sens si elle était apparue plus tard, comme la bande-son des émeutes en Angleterre de l’été dernier. Je ne crois donc pas avoir jamais perdu la foi. Je suis plutôt à la recherche d’une musique qui puisse justifier ma foi en elle. Je suis à la recherche d’une raison pour croire.

Dans l’histoire du journalisme musical, on retrouve souvent cette posture d’écriture critique. On commence sa carrière, on prend souvent la plume en réaction à une certaine presse, ou un certain état de la musique.

Il y a chez le journaliste musical, particulièrement britannique, cette constante dialectique entre l’amour et la haine. J’ai grandi là-dedans. Ceux qui m’ont inspiré n’étaient pas des journalistes mesurés, objectifs. Ils aimaient, ils détestaient, balançant constamment entre ces deux émotions. Le rock peut en effet parfois paraître abject et répugnant. Et parfois, il peut apparaître comme la chose la plus importante au monde. Quand je parle de « rock », je désigne bien sûr de musique populaire, la musique des jeunes, dans laquelle j’inclus l’électronique et le hip hop. Pour moi, tout ça reste une forme de rock and roll, même si l’électronique a souvent combattu certaines figures, certaines postures du rock.  J’oscille donc constamment entre optimisme et pessimisme. Lire la suite ‘Simon Reynolds : 30 ans de critique musicale’

Simon Reynolds : Bibliographie

Blissed Out

Blissed Out : The Raptures of Rock, Serpent’s Tail, 1990

Une compilation des premiers textes de Simon Reynolds célébrant l’underground de la fin des années 1980, de My Bloody Valentine à LL Cool J, en passant par Nick Cave, Butthole Surfers ou Front 242. En anglais.

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The Sex Revolts : Gender, Rebellion and Rock ‘N’ Roll , en collaboration avec Joy Press, Serpent’s Tail, 1995

L’histoire du rock revue et corrigée à travers une série de textes s’intéressant à la question de la misogynie, de la violence, de la virilité ou de la féminité. De Gun’s & Rose aux Stooges, en passant par The Clash, Patti Smith ou Chrissie Hynde. En Anglais.

Energy Flash

Energy Flash : A Journey Through Rave Music and Dance Culture, Pan Macmillan, 1998, réédition et mise à jour en 2008 et 2012.

Une histoire détaillée du mouvement house, techno et rave. L’un des ouvrages définitifs sur le sujet. En anglais. Lire la suite ‘Simon Reynolds : Bibliographie’