Best of 2009 : 12 perles électros

Que retenir de l’année 2009 électronique ? Atom, Clark, Âme, Lusine, Delay…

Difficile à dire tant il est devenu difficile, voir impossible, même pour les journalistes spécialisés, de suivre l’ensemble de l’actualité discographique et numérique. C’est vrai pour 2009 comme pour une grande partie des années 2000 d’ailleurs, qui ont vu, non pas l’explosion des styles et des tendances (ce qui est plus caractéristique des années 90), mais la multiplication des sorties et des labels. Un phénomène culturellement enthousiasmant, témoignant d’une vie artistique foisonnante, mais qui rend bien sûr le travail du critique, comme du simple amateur, de plus en plus difficile…

Alors, plutôt que de livrer ici un best of 2009 catégorique, voici plutôt 12 souvenirs discographiques de l’année écoulée. 12 souvenirs que l’on dédie aux amateurs d’expériences sonores, de spiritualité techno et d’électronica ciselée.

Il va sans dire que ce classement est éminemment subjectif, et que le classement des disques, de 01 à 12, ne reflète pas au plus juste la complexité de nos goûts et de nos passions…

01

AtomTM « Liedgut », (Raster-Noton)

Uwe Schmidt, derrière sa capacité à se grimer sous la forme de multiples avatars (il est l’auteur d’une centaine de disques depuis le début de sa carrière), reste l’un des musiciens électroniques les plus passionnants de son temps. Très loin du tout récent et dernier album (de trop) de son projet Señor Coconut, il signe ici un magnifique exercice de poésie numérique. A partir de mélodies guillerettes, de voix trafiquées, de fragments et de vagues synthétiques, de bruit blanc (l’un des leitmotivs de ce Liedgut), de bleeps et de parasites en tout genre, il parvient à composer une suite de ballades et de paysages sonores étranges et merveilleux, loin des tentatives puériles dont l’électronica est trop souvent coutumière. Mieux, au fil de ses plages et de ses mille idées lumineuses, l’album renoue avec une forme de classicisme et de romantisme typiquement allemand, évoquant la forme du lied, l’influence lointaine de Schubert, le pionnier électronique Oskar Sala, ou les premiers Kraftwerk, époque Radioaktivität ou Ralf und Florian. D’ailleurs, c’est la voix de l’un de ses membres fondateurs, Florian Schneider, qui vient clore l’album et apporter son imprimatur à ce nouveau petit chef d’œuvre.

02

Clark « Totems Flare », (Warp)

Avec cinq albums et une belle série de maxis à son actif, Chris Clark fait partie depuis quelques temps déjà de cette longue lignée de tortionnaires du beat dont les plus éminents ambassadeurs (Squarepusher, Aphex Twin, Mike Paradinas…), ont été révélés depuis le milieu des années 90 au sein de la prestigieuse écurie du label Warp. Mais la grande nouveauté avec ce Totems Flare, foumillant de détails pétaradants et de changements de braquets inopinés, c’est que le Britannique ne se complaît jamais dans le simple déballage technologique, et se révèle un orfèvre inspiré en matière de mélodies (à la dérive) et de pop-songs (mutantes). Bien sûr, tout cela crisse et sature plus que de raison, mais au final, malgré ses téléscopages intempestifs et son électronica dopée à l’énergie taurine, Clark ne perd jamais le fil de ses divagations sonores et livre un parfait album, concentré en 11 titres et 44 minutes anthologiques. Et si vous avez l’occasion de le voir en live, ne le manquez surtout pas, son set étant l’une plus jouissives déflagrations qu’il nous ai été donné d’entendre depuis des lustres.

03

Henrik Schwarz, Âme, Dixon « The Grandfather Paradox », (BBE)

Initiée comme un projet de CD dédié aux origines du son minimal et techno, cette compilation magnifiquement concoctée par Schwarz, Ame et Dixon a considérablement élargi son approche au fil de sa production. Au-delà de la seule décennie précédente, les quatre excellents producteurs et DJ allemands ont en effet rapidement choisi de croiser les genres et les époques et de fondre en un même flux, cinquante d’histoire musicale, passant de la musique contemporaine et répétitive de Steve Reich au jazz habité de Yusef Lateef, du rock obsessionnel et cosmique de Conrad Schnitzler ou Patrick Moraz (compagnon de route de Yes) aux boucles hypnotiques de Robert Hood et I :Cube, sans oublier le groove insistant de Liquid Liquid ou Cymande. Grâce à un patient travail de montage et de mix, le quatuor est parvenu à articuler cet ensemble hétérogène en un superbe mix au climat hypnotique et immersif, surfant entre tension et indolence. Enfin, ils ont eu la bonne idée de livrer les titres en version originale sur le second CD. Une occasion idéale de découvrir quelques classiques et raretés signées La Funk Mob, John Carpenter ou l’inimitable Moondog. D’ores et déjà un disque de chevet.

04

Moritz Von Oswald Trio « Vertical Ascent », (Honest Jon)

L’éminent Moritz Von Oswald rassemble ici Vladislav Delay aux percussions et Max Loderbauer (ex-Sun Electric) aux synthés, pour un étonnant album entre vaudou et transe, qui pourrait être décrit comme une forme  de groove vintage et organique, influencé par le dub et la techno. L’album s’inscrit d’ailleurs dans la même lignée que la compilation mixée par Âme, Dixon et Schwarz, qui tente comme le « Vertical Ascent » d’Oswald de donner de nouvelles couleurs à la transe et au minimalisme, au-delà de l’usage de simples instruments électroniques.

05

Harmonic 313 « When Machines Exceed Human Intelligence » (Warp)

Décidément, 2009, c’est un peu l’année Warp ! On a ici en effet beaucoup aimé le énième album de Mark Pritchard, l’un des producteurs britanniques les plus réputés et prolifiques de la vague post-rave des années 90. Toujours à la page, il revisite ici la « UK Bassline culture », cette vaste et ténébreuse esthétique musicale dans laquelle se croisent dubstep, breaks, électro, dub, hip hop et drum & bass. L’ensemble est une réussite, que l’on évoque les premiers titres de l’album au son pesant et puissant comme « No Way Out » ou les variations plus mélodieuses de « Köln » et « Quadrant 3 » qui rappelleront ses influences Detroit et ses grands albums ambient des années 90. Les fans actuels de dubstep, comme les nostalgiques de ses prods signées Jedi Knight, apprécieront.

06

Lusine « A Certain Distance », (Ghostly International)

Une production numérique léchée, un tempo rassurant, des mélodies en suspension, une électronica cotonneuse, des détails et des textures qui vous aiguisent l’oreille, des refrains synthétiques et chaleureux… bienvenue dans l’univers gracile et utérin de Jeff McIlwain. Ce musicien américain, basé à Seattle, est en effet l’auteur d’un nouvel album qui privilégie une certaine forme de léthargie et de confort, grâce à une maîtrise hors pairs d’accord de synthés doux et obsédants, aux puissants effets déstressant sur le geek qui sommeille en chacun de nous. Mieux, avec ses refrains au vocoder et ses suaves petites chansonnettes signées Vilja Larjosto et Caitlin Sherman, A Certain Distance possède un indéniable charme pop, bien supérieur aux disques précédents de Lusine ou à ses confrères volontiers plus matheux de l’électronica. Cependant, cette qualité est aussi son défaut. Ce disque franchement séducteur semble avoir été composé pour accompagner une ballade nocturne en décapotable virtuelle, menée au cœur une ville d’images de synthèse. Certains y entendront une forme ultramoderne de lounge-music aux plug-in capiteux. D’autres, la bande-son idéale de ces années numériques et 00 qui s’achèvent.

07

Etienne Jaumet Night Music, (Versatile)

Le premier album solo de ce musicien français venu de la pop, du jazz et du duo Zombie Zombie, est dominé par « For Falling Asleep », long titre barré de vingt minutes, qui n’est pas sans évoquer les disques les plus créatifs de la grande époque de l’électronique cosmique. Construit autour d’un spasme de boite à rythme (l’éternelle TR 808), ses nappes vintage, ses boucles de synthés et ses complaintes de saxophone en forme d’incantation cosmique, possèdent une rare puissance sur les esprits qui, l’espace d’une quarantaine de minutes, souhaitent se débrancher du quotidien et rêver à un monde libéré du poids de l’apesanteur. Cependant, malgré cette filiation avec les grandes utopies qui ont marqué les 70’s, Night Music évite avec élégance le piège de la nostalgie baba-cool, grâce à une maîtrise très personnelle de ses effets d’errance et d’extase, et à un mixage (et non pas la production, comme on le lis trop souvent) confié à Carl Craig. Son art de la retenue et de l’hypnose a apporté aux très belles divagations de Jaumet, une clarté et une vigueur que ne possédaient ni A Land For Renegades, le premier CD Zombie Zombie, ni même de nombreux albums seventies. C’est d’ailleurs  là l’un des traits marquants d’une nouvelle vague de musiciens et de DJs actuels qui, du génial et agité Romain Turzi, en passant par l’équipe de Dirty ou les plus tranquilles Studio, ont réussi à puiser dans cette époque lointaine une certaine liberté formelle ainsi qu’un sens de l’évasion et de la catalepsie.

08

The Black Dog « Further Vexations » (Soma)

Pendant des années, on a cru qu’au sein du trio Black Dog, composé à l’origine de Ken Downie, Ed Hanley et Andy Turner, ce sont ces deux derniers, partis plus tard fonder le duo, Plaid, qui possédaient le meilleur talent. Force est de constater que Downie se débrouille désormais très bien. Accompagné de deux nouveaux acolytes, Downie paraît en très belle forme créative puisque ce disque sort tout juste un an après l’excellent et glacial Radio Scarecrow. Sur ce quinze titres, le nouveau trio de Sheffield travaillent d’ailleurs dans une même veine inspirée par l’électronique de Detroit, évoquant avec force mélancolie, le cauchemar moderne et sécuritaire d’une Angleterre livrée aux technologies de contrôle les plus néfastes, grâce à des titres comme l’électro et revanchard « You’re Only SQL », le très Underground Resistance « CCTV Nation » et la magnifique petite trilogie « Northern Electronic Soul ». En somme, vous trouverez ici une techno éternelle et intemporelle, dédiée à l’écoute, passant des mélopées les plus cristallines à de plus sombres échappées,  qui puise toute son inspiration et sa force dans l’utopie technologique née au cours des années 90.

09

Bibio « Ambivalence Avenue » (Warp)

Tiens, encore une production Warp ! Le label a décidément bien fait les choses pour ses 20 ans, en éditant ce premier album tout à fait étonnant qui célèbre avec la même candeur une certaine écriture pop 70’s un rien baba cool et une belle modernité en matière de collages rythmiques et électroniques. Voici le petit frère des Boards Of Canada, en somme, qui n’est d’ailleurs pas loin de rivaliser et de dépasser ses aînés.

10

Turbo Omni-Dance, (Turbo)

Voici la seule compilation de pure techno que l’on a réussi à sauver de ce best-of 2009. Cet excellent double CD constitue une bonne occasion d’apprécier sur disque la puissance comme la subtilité des dernières prods du label montréalais fondé par Tiga. Le premier CD fait place à la nouvelle vague de producteurs européens et américains, pratiquant un son pulsé, obsédant, rêche et décapant (tendance « acid », « banger électro » et « turbine »), dominé par ZZT (Tiga et Zombie Nation), l’énorme « Chomper » de Popof ou le très cocaïné « Sniff » de Kolombo. De l’artillerie lourde résolument actuelle, malgré quelques clins d’œil raveurs et old school qu’affectionne décidément beaucoup Tiga. Le second CD, plus doux à l’oreille, fait quant à lui la part belle à une techno aux accents pop, mélodiques et minimalistes, grâce aux talents conjugués de Zyntherius, Chromeo, James Barth ou le vétéran DMX Krew. Un parfait condensé de ce qui fût sans doute l’un des meilleurs labels techno de ces dernières années.

11

Vladislav Delay « Tummaa » (Leaf)

Vladislav Delay est un cas unique sur la scène électronique. S’il s’est fait remarquer au début de sa carrière dans le sillon de Moritz Von Oswald, le Finlandais ne s’est jamais contenté de suivre les pas de son aîné. Formé au jazz et à la percussion, il a en effet réussi à faire fructifier son héritage au sein d’une électronique inédite, dont les mélodies immersives et les paysages abstraits nous plongent dans un dédale de formes mouvantes et d’échos diffractés. Tummaa se veut cependant plus acoustique que ses albums précédents. Grâce au jeu de Rhodes et de piano de Craig Armstrong, et les saillies de clarinette et de saxophone de l’Argentin Lucio Capece, Delay parvient à un très bel équilibre entre feeling live et manipulations de studio, composant de la sorte une suite de paysages sonores des plus étranges, quelque part entre dub polaire, jazz d’outre-tombe et électronique d’ailleurs. Inspiré par les longues nuits polaires où le moindre des sons semble étouffé par la neige et les ténèbres, cet album introspectif et dépaysant (au sens le plus fort du terme) possède ainsi un très fort pouvoir sur l’imaginaire, ce qui est à la fois la marque des grands disques, et des grands artistes. En tout cas, voici un exemple typique de cet électronique ‘acoustique’, de cette musique acoustique  composée comme de l’électronique, qui a commencé à émerger au cours de l’année 2010.

12

Fennesz « Black Sea » (Touch)

Avec Endless Summer, album désormais historique paru il y a sept ans, Christian Fennesz avait en quelque sorte inauguré les années digitales et 2000. Jonglant avec les sons et les effets, jouant avec les bugs et les dérapages de logiciels, il était parvenu à donner corps à une esthétique moderne et numérique, tout en y apportant le touché humaniste de sa guitare électrique et rêveuse. Depuis, au fil de ses albums (notamment sur Cendre et GRM Expérience, réalisés respectivement aux côtés de Ryuichi Sakamoto et Christian Zanési), il est parvenu à maintenir un fragile équilibre entre une pratique expérimentale et quasi-bruitiste, de très belles plages ambient et un jeu de guitare inédit, dont les accords en suspension et les larsens parfaitement maîtrisés, rappellent une filiation bienvenue avec le rock, quelque part entre Ry Cooder et Sonic Youth. Ce très beau Black Sea, plus atmosphérique que ses prédécesseurs, est d’ailleurs à cette image, orchestrant avec plénitude de fabuleux brouillards de sons, de puissantes vagues digitales et saturées et de très belles mélodies au merveilleux pouvoir hypnotique.

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