Auteur : Jean-Yves Leloup
A l’écoute du monde, les audio-naturalistes et « soundtrackers » se sont donné pour mission de nous faire découvrir la musique la plus belle qui soit, celle de la nature. Bienvenue dans l’univers de l’écologie acoustique et du « soundscape ».
Ces CD, vous les avez tous vu un jour, perdus au fin fond d’un bac de la FNAC, dans une boutique New Age ou chez Natures & Découvertes. Concerts de singes et de batraciens dans une clairière du Venezuela, symphonie ornithologique d’une forêt canadienne, atmosphères dépaysantes d’une plage du Pacifique et autres vacarmes bruissants de la forêt amazonienne. Ces « soundscapes », « nature recordings », ou tout simplement, « paysages sonores », ont connu un certain succès depuis l’heure du gloire du marketing new age dans les années 80. Pourtant derrière une cohorte de médiocres disques « de relaxation », se cache une véritable scène musicale, avec ses labels, ses réseaux et ses artistes. Tous ont en commun d’être à l’écoute de notre planète et d’utiliser comme matière première la richesse infinie des sons de la nature, que cela soit le chant du rossignol, le rugissement d’un torrent, le feulement d’un guépard, les déflagrations du tonnerre ou le chant des alizés. Le genre possède même ses stars, ou du moins ses figures de références : Gordon Hempton (alias « the soundtracker »), Steven Feld, Bernie Krause, Francisco Lopez, Chris Watson ou les Français, Jean C. Roché, Yannick Dauby, Fernand Deroussen et Bernard Fort, chacun témoignant d’une approche personnelle de l’exercice.
L’histoire du « soundscape » ne date pourtant pas d’hier. Entre 1910 et 1950, des pionniers tels que Carl Reich, Ludwig Koch ou Carl Weismann témoignent, à l’aide de leurs enregistrements, de la richesse et de la beauté de la faune ornithologique. Mais c’est plus précisément à partir de 1970 que cette discipline se développe, notamment avec la sortie de la série d’albums vinyles Environments, conçus par Irving Solomon Teibel, qui fait découvrir au monde la richesse du son des océans et des événements climatiques. Un an plus tard, le genre connaîtra son hit planétaire avec les fameux chants des baleines (« Songs of the Humpback Whale ») enregistrés par le Dr Roger Payne, qui parviendra à vendre plus de 200 000 exemplaires de son album. Dans les années 70, ce sont surtout les canadiens qui, sous l’impulsion des écrits de R. Murray Schafer, vont fonder une discipline à la fois artistique et scientifique, l’écologie acoustique, qui influencera nombre d’explorateurs sonores anglo-saxons durant les années 80. C’est d’ailleurs entre 81 et 94, que le genre va s’établir durablement auprès du grand public grâce aux disques de Gordon Hempton et Dan Gibson (la série « Solitudes »). Hélas, au début des années 90, c’est l’industrie du new age et la rapacité de labels peu scrupuleux, qui sonneront le glas des « soundtrackers ». Les bacs sont alors envahis de CD à prix cassés, aux prises de son minables et aux compositions racoleuses façon flûte de pan et synthés sirupeux. Et ce n’est finalement qu’il y a quelques années, après l’effondrement du marché new age, que nos explorateurs connaîtront un nouvel intérêt de la part du public et parviendront même à développer de façon plus personnelle leurs expériences.
S’il est certes difficile, sur un simple enregistrement, de reconnaître l’auteur d’une prise de son, les « soundtrackers » n’en possèdent pas moins leur propre style. Chez les puristes, on préfère une approche documentaire, quasi-photographique du genre, sans le moindre travail de studio supplémentaire. Tout le travail d’un Gordon Hempton, par exemple, ou de son confrère Lang Elliott, tient alors avant tout à la recherche de l’environnement idéal, et au placement du ou des micros. Chez d’autres, on privilégie une approche constructive, en tentant de combiner et de mixer divers prises, tout en restant fidèle à l’esprit des lieux. C’est le cas par exemple de Steven Feld, auteur du superbe « Rainforest Soundwalks ». Ce professeur d’anthropologie et de musicologie à l’université de Columbia, s’est ainsi rendu au cœur de la jungle de Papouasie Nouvelle Guinée, au pied du Mont Bosavi, pour y enregistrer ses « soundwalks ». « J’appelle ces travaux des ballades sonores, car ils sont avant tout basés sur l’idée du mouvement à travers le temps et l’espace. Lorsque vous écoutez le disque, vous pouvez ainsi vous imaginer cheminer le long d’un petit sentier à travers la forêt. On peut y percevoir le son de gouttes d’eau, ou le vol d’une mouche se posant sur le micro, comme si elles se posaient sur votre front. Concentrez-vous sur la manière dont le son est à la fois fixe et mouvant, et vous y percevrez de multiples variations de timbres et de textures. Cette sensation de masse flottante et mouvante est obtenue grâce au mix de certaines pistes stéréo différentes, chacune d’elles ayant été enregistré à des endroits variés de la forêt. L’idée est d’obtenir un résultat acoustique à la fois transparent et hyperréaliste, à mi-chemin entre le documentaire sonore et la composition électro-acoustique ».D’autres enfin adoptent un point de vue musical plus développé encore, tout en respectant la richesse du matériau original. C’est le cas par exemple de Francisco Lopez. Ce musicien espagnol, à l’opposé de la démarche documentaire de ses confrères, préfère quant à lui travailler sur une dramatisation extrême des sons naturels, ce qu’il nomme lui-même, une « musique concrète absolue » ou, plus poétiquement, une « belle confusion ». Ses performances où, le public se trouve couché et les yeux bandés, restent sans doute à ce titre, une des expériences sonores les plus intenses qu’il soit aujourd’hui donné de vivre.
Car, au fond, on parle bien ici d’art, et non pas de science ou de bioacoustique (l’étude de la communication sonore animale). Les « soundtrackers » ont beau tous être des écolos et des défenseurs de l’environnement, leur propos ne se résume nullement à l’apologie béate de la vie naturelle et sauvage. C’est bien à une pédagogie de l’écoute qu’ils nous invitent, à une véritable expérience sensorielle. Écoutez bien les « Forêts et lacs américains » de Jean C. Roché, « La Selva » de Francisco Lopez ou, pourquoi pas, les « Chaos and the Emergent Mind of the Pond» de David Dunn, plongée mémorable dans la vie souterraine et inconnue de milliers d’insectes. Vous n’y percevrez aucune volonté de relaxation ou de spiritualité factice, mais tout simplement de la musique. Comme le dit si bien Jean C. Roché, vedette française en la matière, « je ne suis pas un scientifique. Ce qui me passionne, ce sont les vibrations sonores. Je suis sensible aux oiseaux grâce à la musique qu’ils produisent. Mais au fond, c’est l’art qui m’intéresse. On intervient toujours quelque part, ne serait-ce qu’au niveau du choix des sons que l’on va enregistrer. C’est un premier geste artistique. Par la suite, je peux opérer à différents niveaux. J’enlève certains passages, je veille à la cadence entre les silences, aux contrastes des timbres, aux mélodies… Il ne faut pas s’en défendre. On est des musiciens, qu’on le veuille ou non. On est des musiciens ».
Repères discographiques :
Jean C. Roché : Le fondateur du label Sittelle, auteur de nombreux disques réalisés aux quatre coins du monde et compilant ce qu’il nomme ses « concerts » d’oiseaux et d’environnements. Ne vous fiez pas aux pochette un peu désuètes de ses CD, ils recèlent de véritables trésors. A conseiller, chez ce passionné d’oiseaux et d’ornithologie, « Forêts et savanes africaines », « Forêts et lacs américains » et « Forêts et montagnes asiatiques ». http://www.sittelle.com
Chris Watson : La nouvelle vedette des soundtrackers, qui fascine autant les aficionados du genre que les amateurs de musiques électroniques.
Trois albums chez Touch, « Outside The Circle of Fire », « Stepping into The Dark » et le récent et superbe, « Weather Report ». A noter aussi, « Star Switch On », ou des musiciens tels que Fennesz, Mika Vainio ou Biosphere revisitent ses sons naturels.
http://www.chriswatson.net
Francisco Lopez : Auteur de plus de quatre-vingt dix références, éditées sur une cinquantaine de labels du monde entier. A conseiller, « Belle Confusion 969 » (Sonoris), « La Selva » (V2_Archief) ou « Temizlemek » (Linea Alternativa). La plupart de ces références sont disponibles sur le site du distributeur français, metamkine.com. http://www.franciscolopez.net
Earth Ear : Le label californien de référence, éditeur de disques signés Steven Feld (« Rainforest Soundwalks ») ou Douglas Quin (« Caratinga: Soundscapes from Brazil’s Atlantic Rainforest »). La compilation « The Dreams of Gaïa » est une bonne manière de débuter. Earth Ear distribue par ailleurs plus d’une centaine de références du monde entier.
http://www.earthear.com
Et puis quelques sites :
AcousticEcology.org : Le site de référence pour tous les amateurs de soundscapes, créé par Jim Cummings du label Earth Ear.
Naturesounds.org : Une association américaine dont le but est d’encourager la préservation et l’usage créatif des sons naturels.
The World Forum for Acoustic Ecology : Le site de référence pour les défenseurs de l’écologie acoustique.
http://interact.uoregon.edu/MediaLit/WFAE/home/index.html
Jean-Yves Leloup
Bonjour à tou-te-s,
Voici l’ouverture de ‘Soundscape forever’, une ambitieuse
collaboration avec Kunstradio, qui débute par cette mise en ligne de
10 pastilles originales et la diffusion ce soir de ‘Luskentyre’ de
Chris Watson dans la fameuse émission de la radio publique
autrichienne. Une collaboration qui se prolongera jusqu’au 13
décembre avec la diffusion de 5 autres cartes blanches réalisées par
Els Viaene, Xavier Fassion, Jean-Philippe Renoult, Murmer et eRikm.
‘Soundscape forever’, c’est un regard tourné vers Raymond Murray
Schafer, qui « inventa » le paysage sonore dans les années soixante.
C’est aussi et surtout la mise en question aujourd’hui de cette
notion ambiguë en même temps qu’hyper sollicitée, qui occupe toujours
une place centrale dans la création sonore et musicale.
Lorsqu’à SilenceRadio nous questionnons la notion de paysage sonore,
nous nous heurtons à la difficulté de parler de son avec du son : on
ne sait pas quoi écouter ! Quelque peu désorientés, nous nous sommes
en quelque sorte frayé un chemin par la découpe d’un cadre mobile,
qui viendrait ne révéler que certains morceaux choisis. Du reste du
tableau demeurant dans l’obscur, n’en émanent pas moins quelques
fantômes.
Comme « un paysage quelconque est un état de l’âme », ces créations ne
restent bien sûr que des projections d’espaces à espace, d’air à air,
d’êtres humains vers d’autres humains. Les paysages n’existent que
dans la mesure où des êtres vivants, humains ou animaux, les créent
par leurs activités, leurs relations, leurs perceptions.
Nous habitons les sons.
–
LUSKENTYRE ___ Chris Watson
C’est comme si on y était, comme si on l’était, cette plage lentement
prise par l’océan, à marée montante.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=140
RUISSELLE ___ Philippe Vandendriessche
Sous la fine couche de glace, des vasques naturelles communiquent.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=147
SILENT ETIQUETTE ___ Zoë Irvine & Mark Vernon
D’un bout à l’autre, Zoë et Mark se sont renvoyés la balle au bond,
sans perdre le fil.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=148
LA RÉSERVE ___ Michaël Batalla
Un imprévu a déréglé la routine du poète, bousculant son paysage tout
tracé.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=145
DIPTYQUE DE LA VILLE ___ José Iges
Plissement des plaques : Madrid et Paris ont été retrouvées accouplées.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=143
A TENT IN THE PARK ___ Kassian & Ulrich Troyer
Deux frères sous une tente s’appliquent à mesurer l’air du temps.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=141
AU BEAU MILIEU DU BRUIT ___ Etienne Noiseau
Au beau milieu du bruit il y a toujours des gens. Là, des gens
parlent des bruits en leur milieu.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=142
GREETINGS FROM ITALY ___ Damien Magnette
Une carte postale d’Italie transformée en origami.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=144
SUMMER RAIN ___ Els Viaene
Fermez les yeux et laissez-vous peindre l’autre côté des paupières.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=150
NOUS, LES DÉFUNTS ___ Yannick Dauby
Comme chaque année à Taiwan, les revenants sont appelés à revenir
avec moult prières.
http://www.silenceradio.org/silence.php?id=146
–
Bien à vous et que votre écoute soit belle.
À venir sur Kunstradio et mis en ligne au fur et à mesure sur SR : la
pluie d’été d’Els Viaene et un compte-rendu de Sarajevo par Xavier
Fassion (2/11), une fantaisie touffue par Murmer (16/11), un hörspiel
cheminot par Jean-Philippe Renoult (30/11) et une symphonie
cinéphilique par eRikm (13/12).
http://kunstradio.at/2008B/21_09_08en.html
http://kunstradio.at/PROJECTS/CURATED_BY/SILENCE_RADIO/index.html
En attendant, bon vent !
–
SilenceRadio.org est un projet de l’acsr – atelier de création sonore
radiophonique, avec la collaboration de Domaine public.net
http://www.acsr.be
http://www.domainepublic.net
hello ! « l’etude de la communication sonore animale » :) przécision indispensable ? le sparenthèses en disent parfois davantage que tour le reste :) merci pour ce billet intéresssant, au plaisir de vous lir !
Il me parait incroyable que vous ne citiez pas le label nashvert naturophonia de Fernand DEROUSSEN 120 CD réalisés sur tous les paysages et faune sonore du monde. Plus de 1 millions de CD vendus dont plus de 100000 et disque d’or pour Mers & Océans
Le premier site européen de télèchargement de sons de la nature etc.
Encore merci
Effectivement, c’est un oubli. Je connaissais certains de vos CD et cela m’a échappé. Si j’ai le temps, je reprendrais l’article pour le compléter.
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Ajoutez votre grain de sel personnel… (facultatif)